Les trousses de procès simulés

« Sa majesté La Reine c. Laurier Hector Gareau »


Narrateur : Roger Lepage
Greffière : Nicole Dion
Juge : Annie Audet
Avocats de la défense : Adrienne Sawchuk et Rupert Baudais
Procureurs de la Couronne : René Boudreau et Marylynne Beaton
Accusé : Laurier Gareau


Témoins :
Caporal John McDonald (GRC) : Rémy Lapointe
Katharine Waldorf (la voisine qui a porté plainte) : Suzanne Leblanc-Davis
Michel Vézina (témoin à Bellevue) : Michel Vézina
Nancy Waldorf (fille de la voisine) : Linda Lévesque
Ray Tourigny (voisin d’en face) : Yves Bourassa
Walter Grant (inspecteur d’école) : Ronald Labrecque
Paul Rondeau (curé) : Sébastien Ouellet
Marylou Hazard (diseuse de bonne aventure) : Marie-France Kenny
Esprit (Turgeon) et technicien : Jean Bilodeau


Membres du jury :
(La mère de famille) : France Bédard
(L’artiste) : Wilfrid Denis
(Le chauffeur de taxi) : Paul Heppelle
(La joueuse de bingo) : Renée Bouvier
(Le traducteur) : Henri Chabanole
(Le technicien en informatique) : Sébastien Fillion
(Le retraité) : André Moquin
(Le restaurateur) : Lyronès Joseph


PROCÈS SIMULÉ :

Narrateur : «Monsieur Laurier Gareau est accusé d’avoir, le 14 août 2003, provoqué un vacarme infernal lors d’un party organisé chez lui. Dénoncé par l’une de ses voisines, l’accusé a été arrêté le lendemain par le caporal John McDonald de la Gendarmerie royale du Canada. Au moment de l’identification du prévenu, M. Gareau a déclaré qu’il était Fransaskois. Or, en vertu de la Loi sur les Franco-canadiens de 1912, le terme “Fransaskois” est illégal. Laurier Gareau est accusé d’avoir troublé l’ordre public et d’avoir déclaré être Fransaskois. Lors de la première comparution tenue ici même le 12 septembre dernier, l’accusé a plaidé “non coupable” aux deux chefs d’accusation.»

Greffière : «La cour. Veuillez vous lever. La cour est maintenant ouverte. Madame la juge Anna-Maria Victoria Audetta, présidant.»

Juge : «Veuillez vous asseoir. Tiens, tiens, Maître Sawchuk, vous êtes retournée à la pratique privée?»

Avocat de la défense : «Euh, oui Madame la Juge.»

Juge : «C’est bien. J’espère que vous avez finalement trouvé la place qui vous convient. (au procureur) Monsieur le procureur, la parole est à vous.»

Procureur : «(sur un ton aguicheur) Merci, Madame la Juge. Dans l’affaire de la Reine contre l’accusé, Monsieur Laurier Hector Gareau, je suis maître Boudreau procureur de la Couronne et voici ma collègue maître Marylynne Beaton. Ma savante consoeur, maître Sawchuk, représente l’accusé et elle est accompagné par son confrère, maître Rupert Baudais.»

Juge : «Merci Monsieur le procureur.»

Procureur : «Mais tout le plaisir est pour moi, Madame la Juge.»

Juge : «Oui, bon, d’accord… (à la greffière) Veuillez donner lecture de l’acte d’accusation. (à l’accusé) Veuillez vous lever pour l’audition des chefs d’accusation.» (L’accusé, l’avocat de la défense et la greffière se lèvent.)

Greffière : «Laurier Hector Gareau, à l’accusation d’avoir troublé l’ordre public en vertu de l’article 175(1) du Code criminel et du règlement municipal no6980, plaidez-vous coupable ou non coupable?»

Accusé : «Non coupable.»

Greffière : «Laurier Hector Gareau, à l’accusation d’avoir déclaré être “Fransaskois” en vertu de l’alinéa 3 (2) de la Loi sur les Franco-canadiens de 1912, plaidez-vous coupable ou non coupable?»

Accusé : «Non coupable.»

Greffière : «Veuillez vous asseoir.»

Le procureur se lève.

Procureur : «La Couronne appelle son premier témoin, le caporal John McDonald, à la barre.»

Témoin arrive.

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «McDonald, John.»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

Caporal McDonald : «Je promets.»

Procureur : «Caporal McDonald, êtes-vous bien celui qui a procédé à l’arrestation de Monsieur Laurier Gareau le 15 août dernier?»

Caporal McDonald : «Affirmatif.»

Procureur : «Pouvez-vous nous expliquer pourquoi M. Gareau a-t-il été arrêté?»

Caporal McDonald : «Le 14 août 2003 à 22 h 57, nous avons reçu un appel téléphonique en provenance de Regina. Une personne a porté plainte parce qu’elle entendait, et je cite, “un vacarme infernal” provenant de la maison voisine située au 5657 rue Turgeon, propriété de Monsieur Laurier Hector Gareau.

Je me suis donc rendu à la résidence de Monsieur Gareau au 5657 rue Turgeon. Arrivé sur les lieux à 23 h 57, j’ai constaté que tous les individus avaient quitté les lieux et que l’endroit était désert. J’ai donc émis un avis de recherche concernant Monsieur Gareau.

Appréhendé le lendemain, il a été conduit à la Cour provinciale de Regina. Monsieur Gareau a déclaré qu’il n’a jamais troublé l’ordre public de sa vie.»

Procureur : «Et que vous a-t-il mentionné au moment de son identification?»»

Caporal McDonald : «Qu’il était Fransaskois.»

Procureur : «Fransaskois… Merci, Caporal. Madame la Juge, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Avocat de la défense : «Caporal McDonald, l’accusé était-il chez lui lorsque vous vous êtes présenté à sa résidence le soir du crime?»

Caporal McDonald : «Non, il n’y avait plus personne et le vacarme avait cessé. C’est pourquoi l’accusé n’a été appréhendé que le lendemain.»

Avocat de la défense : «Madame la Juge, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Juge : (au témoin) «Merci, vous pouvez vous retirer.»

Procureur : «La Couronne appelle Mme KatharineWaldorf.»

Témoin arrive.

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Waldorf, Katharine.»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

Mme Waldorf : (fort accent anglophone, British) «Je promets.»

Procureur : «Mme Waldorf, êtes-vous bien la voisine de M. Laurier Gareau résidant au 5657, rue Turgeon?»

Mme Waldorf : Turgeon Street, Monsieur le prosecuter, yes.

Procureur : «Mme Waldorf, pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé le soir du 14 août 2003?»

Mme Waldorf : «J’étais tranquillement devant le télévision au CBC News quand j’ai soudainement entendu de la mousique très fort venant de la maison à côté. Et puis c’était de la mousique en français! (regard méchant vers l’accusé). C’était comme un gigantesque party qui se déroulait dans la cour de mon voisin. De nombreuses personnes chantaient, dansaient, riaient, in brief - they were having a very good time.»

Procureur : «Ils festoyaient à tue-tête?»

Mme Waldorf : «Having a party - Oui.» (un autre regard méchand vers l’accusé)

Procureur : «Vous avez donc appelé la police?»

Mme Waldorf ne répond pas, toujours occupée à fixer le témoin.

Procureur : «Mme Waldorf?»

Mme Waldorf : (se retourne, surprise) «Yes, euh, oui, j’ai alors appelé la police. Mais lorsqu’ils sont arrivés, le vacarme avait stoppé.»

Procureur : «Madame la Juge, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Avocat de la défense : «Mme Waldorf, êtes-vous bien certaine que le vacarme venait de la maison de l’accusé?»

Mme Waldorf : (offusquée) «Of Course! Mais bien sour, j’ai entendu de la mousique en français! »

Avocat de la défense : «Oui, mais êtes-vous sortie pour vérifier d’où venait le bruit?»

Mme Waldorf : «Non, je n’ai pas osé sortir tant que les polices n’étaient pas là. C’était trop dangerous!»

Avocat de la défense : «Votre honneur, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Juge : (au témoin) «Je vous remercie, vous pouvez vous retirer.»

Avocat de la défense : « La défense appelle Michel Vézina à la barre. »

Témoin arrive

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Vézina, Michel»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

M. Vézina : «Je promets.»

Avocat de la défense : «Monsieur Vézina, où étiez-vous le soir du 14 août 2003, vers 22 h?»

M. Vézina : «J’étais à Bellevue, nous étions allés voir la grande fresque de St Jean-Baptiste et rencontrer par le fait même les gens de la communauté. L’équipe du Conseil culturel frans…(toussotement) l’équipe du CCF se composait de Françoise, Laurier et moi.»

Avocat de la défense : «Donc le 14 août dernier, Monsieur Gareau était avec vous.»

M. Vézina : «Oui, il a assisté aux rencontres prévues et après il a dû certainement aller voir les membres de sa famille à Bellevue.»

Avocat de la défense : «Monsieur Vézina, vous qui connaissez bien l’accusé, pouvez-vous nous en parler un peu?»

M. Vézina : «Monsieur Gareau est un écrivain, il a besoin de se ressourcer de temps en temps et il a aussi besoin de solitude et de calme pour écrire. Il a écrit plus d’une trentaine de pièces de théâtre, vous savez! Lorsqu’il travaille, on entend seulement les mouches voler et le son de ses notes de clavier. Il est très matinal et il est un homme ordonné.»

Avocat de la défense : «Merci, c’est tout votre honneur.»

Procureur : «Monsieur Gareau, un écrivain, dramaturge, metteur en scène, il a toujours beaucoup de monde autour de lui. C’est facile d’organiser des partys, de fêter jusqu’aux petites heures du matin. Et si je ne m’abuse, vous travaillez pour un organisme culturel qui s’occupe d’offrir des spectacles remplis d’artistes qui ne pensent qu’à fêter, n’est-ce pas Monsieur Vézina?»

Rupert : «Objection, votre honneur! Il ne faut tout de même pas généraliser et penser que tous les artistes sont toujours sur le party!»

Juge : «Objection retenue. Maître, veuillez ne pas insinuer quoi que ce soit dans vos questions.»

Procureur : «Pardonnez-moi, Madame la Juge. Je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Juge : «Je vous remercie, vous pouvez vous retirer.»

Avocat de la défense : «La défense appelle Nancy Waldorf à la barre.»

Témoin arrive, écouteurs dans le cou, de la musique s’en échappe.

Juge : (au témoin) «Pouvez-vous éteindre votre baladeur s’il-vous-plaît?»

Aucune réaction du témoin.

Juge : (plus fort) «Peux-tu baisser le volume de ta radio s’il-te-plaît?»

Le témoin obéit, tout surpris. La musique s’éteint.

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Nancy Waldorf»

Greffière : «Waldorf, Nancy, c’est votre nom?»

N. Waldorf : «C’est ce que j’ai dit, Nancy Waldorf.»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

N. Waldorf : «Je promets.»

Avocat de la défense : «Mademoiselle Waldorf, où étiez-vous le soir du 14 août 2003?»

N. Waldorf : «J’étais avec des amis.»

Avocat de la défense : «Avec des amis, d’accord, mais où étiez-vous? Dans un parc, une résidence?»

N. Waldorf : «À une résidence, chez mon copain Michael.»

Avocat de la défense : «Chez Michael Beaupré, domicilié au 5659, rue Turgeon?»

N. Wardorf : «Oui.»

Avocat de défense : «La résidence de Michael Beaupré au 5659 rue Turgeon est bien située à côté de la demeure de monsieur Gareau du 5657 rue Turgeon?»

N. Waldorf : «Ben, si Michael vit au 5659 et que monsieur Gareau lui est au 5657, ils sont forcément voisins, Da!»

Juge : «Attention à votre langage, jeune fille, la prochaine remarque désobligeante me forcera à vous accuser d’outrage au tribunal. Reprennez maître.»

Avocat de la défense : «Est-ce qu’il y avait d’autres personnes avec vous et Michael? Étiez-vous à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison?»

N. Waldorf : «Ben, on était toute une gang, une trentaine j’dirais. Y faisait beau et on a décidé de faire un feu, surtout que le père à Michael venait juste d’acheter un fire pit. On est allé chercher du bois et des marshmallows au dépanneur, puis en revenant tout le monde était dehors dans la cour arrière et quoi, le party était pogné! On a rien fait de mal.»

Avocat de la défense : «Le caporal McDonald, lors de sa déposition, a cité qu’il y avait un vacarme infernal. Pensez-vous, Mademoiselle Waldorf, que tout ce vacarme infernal pouvait provenir de votre party, qui devait être très tapageur et bruyant?»

N. Warlorf : «Ben, peut-être?»

Avocat de la défense : «Une dernière question, est-il possible que vous ayez fait jouer de la musique française à votre party?»

N. Waldorf : «Ben oui, Michael va à l’école française et il devait pour son cours de radio préparer une émission, alors on s’était mis toute la gang pour l’aider. Pis y avait des tounes pas mal quétaines mais d’autres ben l’fun.»

Avocat de la défense : «J’aimerais bien avoir une liste des tounes ben l’fun, c’est pour le cadeau de ma fille…»

Juge : «Maître Sawchuk, veuillez garder votre magasinage hors du tribunal et en rester aux faits.»

Avocat de la défense : «Je m’excuse votre honneur, je n’ai plus de questions.»

Juge : (au procureur) «Monsieur le procureur, avez-vous des questions pour ce témoin?»

Procureur : «Aucune question, Madame la Juge.»

Juge : (au témoin) «Je vous remercie, vous pouvez vous retirer.»

Procureur : «La Couronne appelle Monsieur Ray Tourigny à la barre.»

Le témoin arrive.

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Tourigny, Ray»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

R. Tourigny : «Je promets.»

Procureur : «Votre résidence est bien située en face de celle de M. Gareau, au 5656 rue Turgeon?»

R. Tourigny : «Oui.»

Procureur : «Le 14 août vers 22 h 57, où étiez-vous?»

R. Tourigny : «Chez moi.»

Procureur : «Avez-vous entendu du bruit provenant de la résidence du 5657 rue Turgeon.»

R. Tourigny : «Ah! oui, et de ma fenêtre du salon, j’ai bien vu Laurier Gareau sur le drive way et il y avait au moins six autos parkées près de chez lui.»

Procureur : «Madame la Juge, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Avocat de la défense : «Monsieur Tourigny, vous dites avoir aperçu Laurier Gareau le 14 août vers 22 h 57, c’est bien cela?»

R. Tourigny : «Oui. Il faisait un peu sombre mais j’ai toute suite reconnu la stature de mon voisin!»

Avocat de la défense : «Est-ce que les lumières étaient allumées devant la maison?»

R. Tourigny : «Éteintes.»

Avocat de la défense : «Je n’ai plus de question votre honneur.»

Juge : (au témoin) «Merci, vous pouvez-vous retirer»

Procureur : «La couronne appelle Walter Grant à la barre.»

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Grant, Walter.»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

W. Grant : «Je promets.»

Procureur : «Monsieur Grant, vous avez été inspecteur d’école, n’est-ce pas?»

W. Grant : «Oui».

Procureur : «Pourriez-vous décrire l’élève Gareau?»

W. Grant : «Élève ma foi studieux… (avec fierté!) et ne parlant et ne lisant qu’en anglais, surtout à l’adolescence… et durant toutes ses études secondaires!»

Procureur : «Connaissez-vous le mot “Fransaskois” ?»

W. Grant : «Non, c’est nouveau n’est-ce pas? Est-ce qu’il remplace le terme «Franco-canadien»?»

Procureur : Monsieur Grant c’est à moi de poser les questions. Donc, durant ses études primaire et secondaire, monsieur Gareau a été un bon anglophone studieux et modèle?»

W. Grant : «Oui, mais je pense qu’il a été influencé par des histoires de métis, de pionniers et par l’ACFC qui faisait travailler les petits jeunes de son âge pour apprendre le français à tous les samedis!»

Procureur : «Et au postsecondaire, il a fait un Baccalauréat des arts en Alberta, il a étudié en journalisme et communication au Québec, et il a même fait une maîtrise en Beaux Arts, Écriture dramatique et ce encore en Alberta, non?»

W. Grant : «Oui, et il est revenu en Saskatchewan avec un militantisme incommensurable pour la création de textes en français.»

Procureur : «Monsieur Grant, à l’époque, est-il vrai que tout membre de l’ACFC était un Franco-canadien résident de la Saskatchewan?»

W. Grant : «Oui c’est cela, et vous savez… il y avait des petites chicanes, (rires) sacrés francophones… ils se chicanaient entre Belges et Français, il y en a même qui se prenaient pour des “canayens” français pur laine! Non mais, c’était drôle de les voir se disputer en gesticulant des mains, on aurait dit de vrais italiens!»

Procureur : «Fransaskois, vous voulez dire?»

W. Grant : «Euh, oui, si on veut… (perplexe) c’est latin? … (levant les épaules), se sont tous des latins!»

Procureur : «Madame la Juge, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Avocat de la défense : «Monsieur Grant, pensez-vous vraiment que l’ACFC a influencé l’accusé, et que celui-ci est devenu par la suite, grâce à de nombreuses œuvres créatives, défenseur de l’histoire et de la culture des francophones en Saskatchewan?»

W. Grant : «Oui, certainement.»

Avocat de la défense : «Votre honneur, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Juge : (au témoin) «Merci, vous pouvez vous retirer.»

Avocat de la défense : «La défense appelle le curé Paul Rondeau à la barre.»

Témoin arrive.

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Rondeau, Paul.»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

Curé : «Je promets.»

Avocat de la défense : «Monsieur Rondeau, selon vous, monsieur Gareau était-il un bon supporteur de la cause des Franco-canadiens, payait-il sa cotisation annuelle à l’ACFC, faisait-il usage d’une cordiale charité?»

Curé : «Monsieur Gareau, vif et très volubile de nature, a toujours été égal à lui-même. Ces nombreuses pièces en témoignent. Il est à mon avis un défenseur de la langue française… même s’il n’a pas toujours voulu payer sa cotisation à l’ACFC. Question de principes, disait-il.»

Avocat de la défense : «Monsieur Vézina a mentionné plus tôt qu’il avait assisté à la grande fresque de St-Jean-Baptiste à Bellevue. Croyez-vous, Monsieur Rondeau, que ce spectacle est intimement lié aux francophones d’ici?»

Curé : «Mais bien entendu! St-Jean-Baptiste est le saint patron de tous les francophones, l’ACFC avait également Ste-Jeanne-D’Arc et le Collège Mathieu, Dollard des Ormeaux.»

Avocat de la défense : «Tiens, je n’étais pas au courant. À propos de la Société historique, on dit qu’il en a été président.»

Curé : «Il est toujours président.»

Avocat de la défense : «Mais il a été président sortant il n’y a pas si longtemps.»

Curé : «Oui, mais il est toujours président.»

Avocat de la défense : «En d’autres mots, il a vraiment à cœur la Société historique?»

Curé : «Et comment! Et en plus, il est rédacteur de la Revue historique.»

Avocat de la défense : «Merci, c’est tout, votre honneur, je n’ai plus de questions pour ce témoin.»

Procureur : «Monsieur Rondeau, monsieur Gareau a-t-il été un fanatique délirant, est-il un avant-gardiste militant sur l’épanouissement global de la collectivité vivant en milieu minoritaire en Saskatchewan?»

Curé : «OUI, (se rétractant) oui, un peu, dis-je. Il a même rédigé une chronique sur la parlure fransaskoise.»

Procureur : «La parlure… fransas…?»

Curé : «Oui, une chronique qui décrivait les termes et expressions utilisés par les francophones de la Saskatchewan. Ah oui, je me souviens, il a également publié dans l’Eau vive, certains articles relatant la vie des francophones. Cette chronique s’appelait «Un bout d’histoire».»

Procureur : «Un bout d’histoire?»

Curé : «Oui, c’est en plein ça… mais je tiens à vous dire qu’il n’est pas toujours d’accord avec les organisations francophones et qu’il ne se gène pas pour les critiquer ouvertement.»

Procureur : «Madame la Juge, je n’ai pas d’autres questions pour ce témoin.»

Juge : (au témoin) «Merci, vous pouvez vous retirer.»

Avocat de la défense : «La défense appelle à la barre Marylou Hasard.»

Témoin arrive.

Greffière : «Veuillez décliner votre nom à la Cour.»

Témoin : «Hasard, Marylou.»

Greffière : «Promettez-vous de dire la vérité telle que vous la connaissez sur cette affaire?»

M. Hasard : «Je promets.»

Avocat de la défense : «Madame Hasard, pourriez-vous invoquer l’honorable William Ferdinand Alphonse Turgeon, deuxième procureur général de la Saskatchewan, c’est lui qui a rédigé la Loi sur les Franco-canadiens de 1912? Nous aimerions savoir s’il est d’accord avec le terme Fransaskois au lieu de Franco-canadien.»

Marylynne : «Objection votre honneur, cette procédure n’est que de la supercherie!»

Rupert : «Madame la juge, dans plusieurs cas, Madame Hazard a aidé les forces policières à trouver des victimes disparues et nous sommes d’avis que ce témoin est ultimement nécessaire à cette cause!»

Juge : «Objection rejetée, (au témoin) Poursuivez.»

M. Hasard : «C’est bien, j’invoque l’esprit… Esprit es-tu là… (prendre son temps

Esprit : «Oui, je suis là, faites ça vite mon tournoi de golf avec Donald Sirois et François Dubé va commencer dans quelques minutes. Que désirez-vous savoir?»

Juge : «Mais Donald Sirois et François Dubé ne sont pas encore au paradis!»

Esprit : «Quoi? Vous ne savez pas? Radio-Canada est supposé être partout! Que désirez-vous savoir?»

Avocat de la défense : «Nous aimerions savoir si vous êtes d’accord avec le terme Fransaskois au lieu de Franco-canadien.»

Esprit : «Ah, la Loi sur les Franco-canadiens de 1912! Je me souviens. Et bien, il faut interpréter la Loi et ses principes non écrits comme la Cour suprême fait! En passant, transmettez mes salutations les plus cordiales à la magistrature et je vous souhaite à tous et à toutes de bonnes délibérations pour votre plan de développement global. Après le golf, mes amis et moi on va surveiller ça d’en haut.»

Avocat de la défense : «Maître Turgeon…Juge Turgeon… Monsieur le procureur général…»

M. Hasard : «Je crois qu’on l’a perdu.»

Avocat de la défense : «Bon, eh bien, votre honneur, je n’ai plus de questions.»

Juge : (au témoin) «Merci, vous pouvez vous retirer. (à l’avocat de la défense) Dans ce cas, nous passons donc au plaidoyer de la défense.»

Avocat de la défense : «Mesdames et Messieurs du jury. Monsieur Vézina nous a confirmé que Laurier Gareau était à Bellevue le 14 août dernier et que Monsieur Gareau étant écrivain, il a besoin de calme et de solitude pour écrire et qu’il est un homme matinal et ordonné.

Monsieur Tourigny dans son témoignage a affirmé avoir reconnu, de sa fenêtre du salon, la stature de Laurier Gareau vers 22 h 57. Mesdames et messieurs du jury, le soir du 14 août 2003, il faisait trop sombre pour que le témoin distingue sans l’ombre d’un doute Monsieur Gareau.

Devrait-il être reconnu coupable d’avoir déclaré être Fransaskois? Absolument pas. Car cet homme qui est devant vous, s’il doit être accusé de quoique ce soit, c’est d’avoir mis son énorme talent, son temps et sa générosité au service des francophones de la Saskatchewan. Nous avons démontré son attachement pour la Saskatchewan, sa contribution littéraire et journalistique au développement social et historique de la communauté francophone. L’accusé, Monsieur Laurier Hector Gareau, est devenu un élément indispensable de notre culture.

En se référant à l’article 7 de la Loi sur les Franco-canadiens de 1912, où il est clairement spécifié qu’un Franco-canadien est un résidant de la Saskatchewan, nous pouvons sans préjudice interpréter que le terme Fransaskois, signe de modernité du 21e siècle, désigne une personne francophone résidente de la Saskatchewan.

Qu’il se dise Franco-canadien ou Fransaskois n’est qu’une technicalité juridique qui ne doit pas justifier la condamnation d’un homme aussi respectable. Laurier Gareau doit donc, Mesdames et Messieurs du jury, être déclaré “non coupable” sur les deux chefs d’accusation. Merci.»

Procureur : «Mesdames et Messieurs du jury, le témoin Ray Tourigny, le voisin d’en face, pouvait distinguer même dans la pénombre une stature tel que celle de Monsieur Gareau. Plusieurs voitures étaient stationnées devant sa résidence; il est donc indéniable qu’il y avait là un gigantesque party francophone! Il doit être reconnu “coupable” d’avoir troublé l’ordre public.

Bien que Monsieur Gareau ait accompli de grandes choses pour la communauté francophone de la Saskatchewan, il doit, je dis bien il doit, être reconnu coupable de s’être déclaré Fransaskois.

Tout au long du procès, nous avons démontré que l’accusé, Monsieur Gareau, est un francophone fanatique exponentiel et il est un militantisme dangereux pour la population, se disant lui-même Fransaskois.

Or, je tiens à vous rappeler, Mesdames et Messieurs du jury, qu’en vertu de la Loi sur les Franco-canadiens de 1912, le terme Fransaskois est indubitablement il-lé-gal. L’accusé doit donc être reconnu coupable. Merci.»

Narrateur : «Nous prenons une pause pour voir ce qui se passe vraiment dans la tête des membres du jury.»

(La mère à temps plein) Ah oui, il ne faut pas que j’oublie de passer à l’épicerie, c’était quoi le spécial de la semaine? De toute façon, avec une bonne salade les enfants vont aimer ça. Ah! La gardienne, j’espère qu’elle n’a pas fait de dégâts dans la cuisine et fait brûler le souper! Je dois prendre une décision… la plaidoirie de la Couronne est très convaincante, je pense qu’il est coupable.

(L’artiste) Ben là, parce qu’on est artiste on fête à tous les soirs! Bon c’est vrai, il y en a souvent des partys, mais les insinuations de la Couronne m’ont pas mal offusqué. L’accusé n’a pas l’air d’un gars trop de party, je vais voter non coupable.

(Le chauffeur de taxi) C’est la jeune qui a dû faire du vacarme. Le voisin fabule, il n’a pas pu reconnaître sans l’ombre d’un doute, comme l’a dit l’avocat de la défense. Pour l’autre chef d’accusation, la loi est la loi, il est écrit Franco-canadien y’ont pas d’affaires à changer ça! Il est coupable.

(La joueuse de bingo) C’est plus excitant d’être ici que d’écouter une série policière à la télé. J’ai hâte de raconter ma journée à mes amies au prochain BINGO. Il faut décider, est-il coupable ou non, c’est énervant, mais je dirais… coupable. Le procureur de la Couronne est tellement cute!

(Le traducteur) Il y a quelques années, j’ai traduit un document en droit criminel pour l’Association des juristes d’expression française de la Saskatchewan et il mentionnait que le juge pouvait ordonner un engagement de ne pas troubler l’ordre public pour une période de 12 mois. Et bien, madame Waldorf pourra écouter ses nouvelles en toute quiétude! Coupable ou non coupable? Coupable sur le premier chef d'accusation mais non coupable sur le deuxième.

(Le technicien en informatique) Ah!, une journée sans mon patron sur le dos, c’est les vacances!… Allez-y, prenez votre temps s.v.p. et je serai volontairement et gratuitement disponible comme membre d’un autre jury. Il n’y a pas assez de preuves pour qu’il soit coupable, et c’t’affaire Franco-chose, j’y comprends rien mais prenez votre temps…

(Le retraité) Il a l’air coupable, mais un peu innocent, moi aussi j’ai eu des voisins francophones, et est-ce qu’ils ont fait des partys, mmm… peut-être un, ça fait des années… je reste indécis coupable ou non coupable…

(Le restaurateur) Ouf! J’ai chaud, j’ai faim, est-ce que ça va finir bientôt c’t’affaire-là? Il est coupable!

Juge : «Mesdames et Messieurs du jury, veuillez vous retirer pour délibérer.»

Greffière : «Veuillez vous lever. La cour se retire.» (Tout le monde se lève pendant que la juge quitte la salle d’audience. Le jury se retire pour débattre la question.)

Narrateur : «Nous invitons les spectateurs à être membres du jury.»

Ramasser les votes et compiler les résultats. Lorsqu’il arrive à un verdict, le président du jury appelle le greffier, qui en informe la juge.)

Greffier : «Veuillez vous lever.» (Tous se lèvent pendant que la juge regagne sa tribune, puis se rassoient.)

Juge : «Mesdames et Messieurs du jury, avez-vous rendu un verdict?» (La greffière donne le verdict à la juge.)

 

Le verdict

Coupable sur les deux chefs d’accusation

Juge : Sur les deux chefs d’accusations, soit d’avoir troublé l’ordre public et de s’être déclaré Fransaskois, l’accusé est reconnu coupable. Étant donné la notoriété de Monsieur Gareau, j’invite Madame Réjeanne Flichel, directrice de l’Eau vive, et Monsieur Michel Vézina, directeur général du Conseil culturel fransaskois, à venir prononcer la sentence de l’accusé.


Coupable uniquement d’avoir troublé l’ordre public

Juge : À l’accusation d’avoir troublé l’ordre public, l’accusé est reconnu coupable. À l’accusation de s’être déclaré Fransaskois, l’accusé est reconnu non coupable. Étant donné la notoriété de Monsieur Gareau, j’invite Madame Réjeanne Flichel, directrice de l’Eau vive, et Monsieur Michel Vézina, directeur général du Conseil culturel fransaskois, à venir prononcer la sentence de l’accusé.


Coupable uniquement de s’être déclaré Fransaskois

Juge : À l’accusation d’avoir troublé l’ordre public, l’accusé est reconnu non coupable. À l’accusation de s’être déclaré Fransaskois, l’accusé est reconnu coupable. Étant donné la notoriété de Monsieur Gareau, j’invite Madame Réjeanne Flichel, directrice de l’Eau vive, et Monsieur Michel Vézina, directeur général du Conseil culturel fransaskois, à venir prononcer la sentence de l’accusé.


Innocent sur les deux chefs d’accusation

Juge : Sur les deux chefs d’accusation, soit d’avoir troublé l’ordre public et de s’être déclaré Fransaskois, l’accusé est reconnu non coupable. Malgré ça, en raison des circonstances aggravantes de l’affaire, j’estime que l’accusé ne devrait pas s’en tirer à si bon compte. Étant donné la notoriété de Monsieur Gareau, toutefois, j’inviterais Madame Réjeanne Flichel, directrice de l’Eau vive, et Monsieur Michel Vézina, directeur général du Conseil culturel fransaskois, à venir prononcer une sentence appropriée.