Discours de la sénatrice MARIA CHAPUT
Regina le 7 février 2004

Je suis honorée d’avoir été invitée à vous entretenir aujourd’hui. J’ai choisi de vous parler du rôle essentiel que jouent les juristes dans l’interprétation de la Loi sur les langues officielles et des nouvelles avenues qu’offrent les dernières initiatives du gouvernement en matière de dualité linguistique: une valeur fondamentale basée sur le respect, l’équité et l’inclusivité.

On dit souvent qu’un discours, c’est comme la robe d’une femme : assez long pour couvrir le sujet, assez court pour rester intéressant. Eh bien, dans le cas qui nous occupe, il ne faudrait pas parler de robe, mais bien de toge, ce qui ne devrait pas pour autant rendre le sujet inintéressant, bien au contraire.

Vous êtes, vous juristes, des guides indispensables dans l’interprétation de la Loi des langues officielles, et à ce titre, vous faites l’objet d’un intérêt particulier de la part des communautés minoritaires pour qui la dualité linguistique est au cœur d’un vaste débat . Elle représente une valeur fondamentale qui doit être basée, comme je viens de le dire, sur le respect, l’équité et l’inclusivité.
Permettez-moi de vous rappeler brièvement quelques faits socio-historiques de la présence française dans l’Ouest canadien tels que relatés par Guy Jourdain, conseiller au Secrétariat des services en français de la province du Manitoba.

Les francophones du Canada ont toujours perçu la fédération canadienne comme étant le résultat d’un pacte solennel conclu entre les deux peuples fondateurs. Le régime de protection de la minorité canadienne-française incorporé dans la Loi constitutionnelle de 1867 s’articule autour de deux grands axes principaux, à savoir, d’une part, la protection de la confessionnalité des écoles prévues à l’article 93 et, d’autre part, le bilinguisme parlementaire, législatif et judiciaire au sein de l’État fédéral et de l’État provincial québécois prévu à l’article 133.

En 1875, le Parlement du Canada établissait par voie législative un régime de protection des écoles confessionnelles dans les Territoires du Nord-Ouest, qui englobaient alors les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta. En 1877, toujours par voie législative, le Parlement du Canada établissait, à l’égard des mêmes territoires, un régime de bilinguisme législatif et judiciaire.
On connaît la suite : avec l’arrivée du chemin de fer et d’un grand nombre d’Ontariens anglophones et d’immigrants de l’Europe de l’Est, le poids démographique des francophones a rapidement chuté et l’élite anglophone et protestante des Prairies s’est débarrassée du régime de protection conféré à la minorité française et catholique.

Les francophones de l’Ouest canadien ont donc connu, à l’instar des autres francophones en situation minoritaire au Canada, une période de grande noirceur. Mes propres grands-parents ont fait partie de cette résistance tranquille des années 1916 à 1969. La thèse des nationalistes québécois selon laquelle « hors du Québec, point de salut » a certainement contribué à faire bouger l’État fédéral dans la reconnaissance du caractère bilingue de l’ensemble du pays et revitalisé les collectivités minoritaires francophones.

C’est ainsi qu’a vu le jour la Loi sur les langues officielles de 1969 reconnaissant le principe du bilinguisme officiel au niveau de l’État fédéral et obligeant pour la première fois la fonction publique fédérale, par opposition aux institutions parlementaires et judiciaires, à fournir des services bilingues. Dans la foulée de cette nouvelle loi, des progrès considérables se sont produits en matière de bilinguisme partout au pays.

Le français n’est pas le combat d’un groupe dans la société, mais celui de toute une société, qui, au nom de son identité et de sa diversité, a la responsabilité de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir son rayonnement. D’où la nécessité de bien comprendre non seulement l’étendue des droits conférés aux francophones du Canada, mais également de profiter de l’application optimale des règles en matière de dualité linguistique. Et la communauté a grand besoin de ses juristes dans cette matière car les lois et les règles ne sont pas faciles à comprendre.
Le 12 mars 2003, le Premier ministre Jean Chrétien a annoncé un nouveau plan d’action fédéral pour les langues officielles qui constitue certainement un premier pas vers une relance du programme des langues officielles au Canada.

Dans son rapport Point de vue 2002-2003, déposé au Sénat en octobre 2003, le comité sénatorial et je cite « est déterminé à faire avancer la dualité linguistique et à donner un nouveau souffle aux langues officielles au Canada. L’un de nos principaux objectifs au cours des années à venir sera de voir à ce que les institutions qui sont partie de ce plan soient effectivement amenées à conjuguer leurs efforts afin que la dualité linguistique devienne une valeur véritablement ancrée dans l’esprit de tous ».

Vient maintenant s’ajouter la réorganisation gouvernementale et la nouvelle structure de gestion. Les membres de nos communautés ont maintenant plusieurs inquiétudes. Le plan d’action du gouvernement fédéral (Plan Dion), sera-t-il respecté? Pouvons-nous penser que l’argent identifié pour la mise en œuvre de ce plan est toujours là, compte tenu du fait que le premier ministre et le ministre des Finances nous parlent d’une année difficile !

Comment arriverons-nous à composer avec les divers interlocuteurs et partenaires du plan ? Nous avons l’honorable Pierre Pettigrew, ministre responsable des langues officielles et de Santé Canada, l’honorable Denis Coderre, président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre responsable de La Francophonie, l’honorable Hélène Chalifour Scherrer, nouvelle ministre du Patrimoine canadien, l’honorable Liza Frulla, ministre du Développement social, responsable de la « petite enfance » et l’honorable Carolyn Bennett, ministre d’État de la Santé publique, sujet qui nous touche de très près.

La communauté aura encore plus besoin de ses juristes pour composer avec le tout et arriver à déterminer des approches concertées.

Dans le domaine de la justice, le plan d’action du gouvernement entend améliorer l’accès à la justice dans les deux langues officielles par : le financement de projets réalisés avec des partenaires (gouvernementaux ou non); le financement stable pour les associations de juristes d’expression française; la création d’un mécanisme de consultation avec les communautés; et le développement d’outils de formation pour les conseillers juridiques du ministère de la Justice. La Commissaire aux langues officielles a souligné devant le Comité sénatorial l’importance de prendre les mesures nécessaires pour aider l’ensemble des gouvernements provinciaux et territoriaux à développer « les structures institutionnelles appropriées permettant aux justiciables d’avoir accès au système de justice dans les deux langues officielles. »

Le troisième rapport du Comité sénatorial sur « l’État des lieux », qui a été déposé au Sénat le 28 mai 2003, contient d’ailleurs sept recommandations sur la question de l’accès à la justice dans les deux langues officielles touchant entre autres, le bilinguisme, la nomination et la formation linguistique des juges, ainsi que le concept de cour provinciale itinérante bilingue. La réponse du gouvernement nous a été remise en novembre 2003.

Je vous invite à obtenir le document de réponse qui est disponible au site Web du Sénat. Pour vous inciter à vouloir le lire, voici un exemple de ce qui est mentionné :
« Le ministère entend cependant créer, sous peu, dans le cadre du Plan d’action, un comité consultatif dont l’un des sous-comités sera dévolu à l’accès de la justice dans les deux langues officielles. Ce sous-comité permettra échanges et concertation avec les intervenants du milieu, notamment, les universités, les associations de juristes d’expression française et les barreaux locaux. Il constituera la plate-forme idéale pour traiter des questions qui … »
Je m’attends à ce que vous suiviez de près les promesses du gouvernement fédéral et je m’attends aussi à ce que vous informiez régulièrement le comité sénatorial des progrès réalisés. Vous êtes des partenaires essentiels. Ne l’oubliez pas.

Dans cet ordre d’idées, j’ai endossé le 7 mai dernier à la Chambre haute le projet de loi S-11 déposé par le sénateur Jean-Robert Gauthier, grand défenseur de la langue française, qui vise l’imputabilité des gouvernements par rapport à la mise en oeuvre de l’article 41 de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles. J’ai bon espoir que le Sénat reprendra le projet S-11 ce mois-ci.
Un de mes collègues, le sénateur Gérald Beaudoin, considère que l’article 41 de la Loi sur les langues officielles est exécutoire et non pas uniquement déclaratoire. Devrions-nous demander à la Cour suprême de trancher la question? Quelles seraient les étapes à considérer s’il advenait que le projet S-11 ne soit pas adopté? Nous avons beaucoup de pain sur la planche et plusieurs questions qui nécessitent une réflexion approfondie de notre part.
La réalité est que, malgré le cadre de mise en œuvre annoncé en 1994 ciblant de façon particulière 27 ministères et agences fédérales, le gouvernement n’a pas reconnu dans la Partie VII une l’obligation d’agir.

Les conséquences sur notre développement sont néfastes. Il en résulte un accès quasi inexistant aux programmes de recherche et de développement pour assurer des données adéquates sur nos communautés; un accès très limité aux programmes et aux services gouvernementaux; un transfert de responsabilités vers les provinces et vers d’autres paliers, tel le secteur privé, sans clause de protection des droits des minorités de langues officielles; le transfert d’importantes sommes fédérales aux provinces, sans obligation pour celles-ci de desservir leur communauté minoritaire de langue officielle.

De plus, parce que la Partie VII de la Loi sur les langues officielles n’est pas officiellement reconnue comme obligeant les instances fédérales à agir en travaillant de concert avec les communautés minoritaires de langues officielles, nous n’avons pas bénéficié de l’arrivée d’un nombre important d’immigrants, venu renforcer les rangs de la majorité.

Est-ce si étonnant que le pourcentage et la population francophone au Canada continuent à diminuer, plus précisément celle de l’Ouest du Canada. Nous devrons être vigilants car en plus de l’assimilation, c’est la dépopulation qui nous guette. D’après les spécialistes en immigration, à compter de 2031, l’augmentation de la population canadienne ne dépendra que de l’apport de l’immigration. Nous avons à agir rapidement et être partenaires actifs dans ce dossier !

Enfin, dans son rapport annuel 2001-2002, la Commissaire aux langues officielles « recommande au gouvernement de préciser la portée juridique de l’engagement prévu à l’article 41 de la Loi sur les langues officielles et de prendre les mesures nécessaires pour s’acquitter efficacement des responsabilités prévues par cette disposition. »

Comme vous le voyez, assurer le suivi du Plan d’action nécessitera toute notre vigilance, car c’est dans l’interprétation du cadre d’imputabilité, des règlements et des partenariats que la partie se joue. Votre rôle et vos actions sont primordiales au suivi et à la réussite de ce plan. La communauté vous considère comme des joueurs clé essentiels à son plein développement.

Ne l’oubliez pas !
À vous de jouer et d’être partenaires actifs dans le développement et l’épanouissement de votre communauté ! Je vous remercie de votre attention.